Résumé
Le numérique tel qu’il se conçoit et se déploie actuellement pose un problème épistémologique qui se trouve être à la fois institutionnel, politique, économique, socio-culturel d’où le grand intérêt qu’il porte à l’étude. Il a donc été question pour nous de mener une analyse descriptive succincte quant à son évolution généralisée afin de soustraire de l’ensemble des disparités observées entre les pays développés et ceux en développement; la tendance critique. Il en ressort que le numérique dans le grand ensemble qui le constitue pose un véritable problème d’infrastructures, d’accessibilité et de formation. Aussi, les équipements électrotechniques sont caduques et sous employés à l’usage bien même quand ils existent. Il convient donc aux pays africains d’accélérer la mise à niveau des infrastructures.
Mots clés: Numérique, Développement technologique, TIC, Fracture numérique, Fracture technologique.
Tanguy Kevin MESSI MESSI* Etudiant Ph.D, Diplômé PTCI (Programme de Troisième Cycle Inter-Universitaire); FSEG Cheikh Anta Diop,Dakar.
Introduction
L’acception du numérique tant à être complexe mais l’idée qu’on en fait est plutôt moindre. S’assimilant à un phénomène* qui semble transformer le quotidien de l’homme et reconfigurer sa réalité; il se définit comme l’ensemble des technologies numériques qui permettent aux pays d’accélérer leur développement socio-économique*, de rapprocher leurs habitants des services et des opportunités d’emploi afin d’améliorer leur bien-être (Banque Mondiale, 2019). Dans le même ordre d’idée, Milad, (2011) conçoit le numérique comme le processus de numérisation qui consiste à reproduire techniquement les valeurs d’un phénomène physique non plus sur le mode analogique mais en convertissant les informations qui le constitue en données chiffrables. Dans la littérature, le numérique se conçoit suivant deux grandes dimensions; d’une part le développement technologique* (Ali et al, 2014) et d’une autre les TIC* ou économie numérique dans le contexte de la nouvelle économie (Gabas, 2004). C’est donc à raison que l’importance croissante prise par les technologies de l’information et de la communication (TIC), depuis près d’une décennies; concourt à l’émergence d’une société nouvelle, qualifiée de “société de l’information” ou de “société de connaissance” (Sagnan, 2006). Dans les pays développés, le secteur de l’information est en effet le moteur qui tire désormais la compétitivité; la croissance et par conséquent le développement économique (OCDE, 2002). Au delà de l’économie, les TIC agissent également sur les sphères politiques, sociales et culturelles (Castells; 1998 et 1999). L’importance et la complexité de cette “révolution informationnelle” (Lojkine, 1992), remet en cause les manières de communiquer, de penser, d’apprendre, d’enseigner, d’agir, et de produire (SMSI, 2003). Il convient de croire que, bien plus qu’un levier du développement socio-économique, le numérique par le biais des TIC se consacre à édifier toute société à dimension humaine; inclusive et privilégiant le développement, à éclairer une société de l’information dans laquelle chacun ait la possibilité de créer, d’obtenir, d’utiliser et de partager l’information et le savoir afin que les individus et les communautés puissent ainsi réaliser l’intégralité de leur potentiel dans la promotion de leur développement durable et l’amélioration de leur qualité de vie (SMSI, 2003; Brundtland, 1987). Cependant, les faits stylisés montrent que la société de l’information qui se construit actuellement est loin de ressembler à cette vision idéaliste. Elle laisse au contraire entrevoir de profondes inégalités tant au sein des pays qu’entre les pays eux-même et elle exclut des millions d’hommes et femmes des possibilités existantes en matière d’éducation, de santé, d’environnement etc.. connu sous l’appellation de “fracture numérique” ou de “fossé numérique”, ce phénomène est particulièrement aigu dans les pays en voie de développement, notamment en Afrique. En effet, depuis les dix dernières années, alors que l’utilisation du réseau internet ne cesse de croître, le niveau de la fracture numérique est de plus en plus important. Selon l’Agence Ecofin, (2017) ; l’Afrique est la région qui a affiché la plus forte progression d’utilisation d’internet. Malheureusement, le fossé numérique reste tel que l’accès aux infrastructures numériques est quasi inexistante même si le nombre de personnes connectées a augmentées durant les dernières années avec un taux de pénétration continûment évolutif depuis 2011 avec plus de 29 millions d’abonnés nombre d’abonnés à l’internet mobile (Rapport de l’Union Internationale des Télécomunications, 2012). Par ailleurs, le fossé numérique entraîne avec lui un fossé technologique qui est tel que les moyens technologiques supposés favoriser l’accès au numérique restent médiocres car l’utilisation optimale de la technologie nécessite un ensemble de meilleures compétences en termes de chercheurs et diplômés en sciences fondamentales techniques et appliqués et en ingénierie qui jusqu’ici reste inégalement réparties. Selon le rapport de la CNUCED, ( 2018); pour 1098 chercheurs par millions d’habitants dans les pays développés, on a contrario 87.9 par millions d’habitants en Afrique subsaharienne et 63.4 par millions d’habitants dans les pays moins avancés. De même, le nombre de diplômés dans les domaines sus évoqués affiche près de 29% en Inde, 26% en Chine, 5.2% en Amérique et moins de 1% en Afrique. Dès lors, il est claire que l’Afrique tend à amorcer le sentier d’une évolution numérique mais l’évidence stylisée impose à se questionner sur le fossé numérique qui ne cesse de se creuser. En d’autres termes, l’absence d’infrastructures technologiques , les contraintes d’accessibilité et l’alphabétisation numérique ne justifieraient ils pas le fossé numérique en Afrique?
I- Evolution ou Révolution numérique?: l’appréciation théorique
Le processus de numérisation via l’essor de l’informatique, de l’intelligence artificielle, de la robotique et du réseau internet a bouleversé radicalement les sociétés. Les comportements des individus et même, les prises de décisions des autorités étatiques sont aujourd’hui largement influencés par les techniques numériques. Une telle mutation impose à se questionner sur la nature de cette importante croissance du numérique; d’autant plus que le mot “révolution” étant fortement connoté, la “révolution numérique” ou simplement la “révolution technologique” quant à elle ne saurait faire l’objet d’un consensus. Raison pour laquelle, si certains voient dans le progrès technique, le vecteur et la condition d’un progrès social; d’autres y décèlent au contraire l’expression d’une tendance prométhéenne* et d’une éventuelle aliénation de la rationalité* humaine. Ainsi, selon Bonjawa, (2011); plus qu’une simple évolution, le numérique est une révolution. Il constitue via les technologies de l’information et de la communication (TIC) la “révolution technologique” de la seconde moitié du 20e siècle. C’est d’autant plus pourquoi l’expression “révolution numérique” a été créée par des penseurs de sensibilité technophile qui; comparant la révolution numérique à celle industrielle identifient le progrès technique au progrès de l’humanité. Lesquels penseurs d’une part; les libéraux* qui pensent que la révolution numérique est un principal moyen pour stimuler l’économie et l’éducation (Sinai et Waldfogel, 2004 ; Einav et Levin, 2014 ; Autor; 2015 ; Agrawal et al.,2015 ; Bourreau et Pénard, 2016) et d’autre part; les transhumanistes* qui attestent qu’elle serait un moyen de transcender les limitations biologiques afin de transformer radicalement l’espèce humaine (Vial, 2012 ; Vitalis, 2015 ; Beranger, 2015**).C’est dire donc avec Vitali-Rosati et Sinatra, (2014) que le numérique est une révolution qui engage la réinterprétation des structures conceptuelles qui organisent sa connaissance et à travers lesquelles l’homme se rapporte au monde. Par contre, certaines thèses technocritiques estiment que qualifier cette évolution de révolution, au seul motif qu’elle est très rapide constitue une hérésie. Le numérique a beau modifier le lien social de façon spectaculaire, il ne révolutionne en rien l’ordre politique et socio-économique mais ne fait que les stimuler et les renforcer (Ellul, 1969). Des 1990, ces penseurs technocritiques ont étudié les transformations socio-culturelles engendrées par le développement du world wide web. Milad (2011) parlera dans ce sens par la suite de “culture numérique”, pour mettre l’accent sur la transformation de la vision du monde qu’a produit la diffusion des technologies numériques. C’est croire que, plus qu’un “fait”, le numérique est une “idéologie” et moins qu’une révolution, il est simplement une “évolution” de la technique. C’est pourquoi Jacques Ellul, (1988) affirmera que faute d’une “révolution intellectuelle” qu’il appelle “système technicien*”, le numérique moins qu’une révolution est une évolution qui ne peut que renforcer les géants du web.
Nonobstant, il apparaît clairement que le numérique est aujourd’hui une évidence qui transforme la réalité humaine et conditionne son bien-être. Alors, qu’il s’agirait d’une évolution ou d’une révolution, il n’en demeure pas moins que le numérique est un véritable levier de développement. Et parce que le développement impose une évolution dans la révolution; le numérique comme révolution reposerait sur trois piliers. le premier; la technologie*, le second; l’économie et le troisième; étant social avec de nouveaux modes de sociabilité et d’actions collectives.
II- Révolution numérique et Fracture numérique en Afrique: L’évidence d’une corrélation négative
La fracture numérique reste importante en Afrique. S’il est vrai que la révolution numérique par la diffusion des TIC a été d’une importance capitale pour les pays développés, il n’en demeure pas moins qu’elle reste jusqu’ici une nouvelle source d’inégalités et d’exclusion des couches sociales défavorisées pour les pays en voie de développement à cause du retard technologique qui est fort visible. La “fracture numérique*” ou “fossé numérique” s’appréhende comme l’ensemble des inégalités d’accès aux technologies informatiques. Elle fait référence à une inégalité face aux possibilités d’accéder et de contribuer à l’information, à la connaissance et aux réseaux, ainsi que de bénéficier des capacités majeures de développement offertes par les TIC ( Elie, 2001). Il est donc nécessaire d’apprécier les différents aspects de cette fracture en Afrique.
II.1 Révolution numérique et Fracture numérique politique
La révolution numérique crée un nouvel age du politique. Elle permet aux citoyens; par son immense inter-connectivité, de participer et d’influencer les prises de décisions publiques et de se mobiliser pour l’intérêt général: C’est la “démocratie numérique”; qui exige une maîtrise et une régulation. C’est la raison pour laquelle par transitivité littérale, la fracture numérique politique ferait donc référence à l’ensemble des inégalités quant aux possibilités pour un citoyen d’accéder et de contribuer à l’information politico-publique.
Cependant, ni la maîtrise ni la régulation ne sont efficaces en Afrique. En effet, l’inter-connectivité par l’usage des télécommunications et de l’informatique a donné jusqu’ici une légitimité virale au citoyen lui permettant non plus de participer à la construction politique et démocratique de son pays mais d’influencer idéologiquement et radicalement les prises de décisions politiques mettant ainsi en péril l’Etat de Droit, la participation citoyenne et même la stabilité politique. Selon le rapport sur les causes des conflits et la promotion d’une paix et un développement durable du Department for International Development (DFID 2010, Britanique); l’instrumentalisation digitale est une des causes des conflits. A titre d’illustration, les insurrections politiques et les guerres civiles qui se sont multipliées depuis les dix derniers années en Afrique nettement en Cote d’Ivoire, Lybie, Syrie, Egypte, Burrundi et récemment au Mali ont eu parallèlement pour point d’encrage le numérique à travers l’internet et les masses médias. C’est croire donc que l’exercice d’une démocratie numérique exige de prime à bord une formation au digital quant à son usage et par la suite une véritable régulation dans le libre accès à l’information publique et dans la voix citoyenne numérique.
II.2 Révolution numérique et Fracture numérique Sociale, économique et culturelle
La croissance rapide de l’informatique et d’internet en Afrique a permis globalement de stimuler la mise à niveau de plusieurs secteurs d’activités socio-économiques et d’améliorer certaines pratiques culturelles. Malheureusement, le fossé numérique est tel que les inégalités économiques et sociales liées à l’accès aux équipements et aux infrastructures ne favorisent pleinement ni le transfert de connaissances, ni le transfert de technologies, ni la formation d’un capital économique et ou humain véritable. Alors que les TIC ont pour rôle de favoriser l’innovation et d’accoitre la productivité des entreprises notamment dans la réduction des coûts de communications, d’information et de transaction (Fink et al, 200) et de favoriser la compétitivité sur les marchés; il reste jusqu’ici difficile pour l’Afrique de bénéficier de cette aubaine nottament dans les secteurs de l’industrie agricole et minière étant donnée la diversité en ressources naturelles. De plus, l’usage social demeure inexorablement la cause principale de l’analphabétisme numérique. Malgré les modalités diverses d’apprentissage, l’information et les connaissances abondantes; l’usage du digital en Afrique reste basique et de nature à favoriser une acculturation numérique au détriment d’une valorisation culturelle et d’une révolution intellectuelle.
Conclusion
Le numérique via le développement technologique et les TIC contribuent fortement à la promotion d’un développement humain évident et d’un développement durable fiable. Nonobstant son évolution généralisée, il demeure évident que l’Afrique souffre d’un véritable fossé numérique qui tend à réduire si non annuler les bénéfices attendus. Il a donc était question pour nous de faire, au-delà d’une analyse théorique simplifiée de l’évolution généralisée du numérique, de soustraire la problématique sociétale qu’est la fracture numérique en Afrique. Il en ressort que le numérique dans le grand ensemble qui le constitue pose un véritable problème d’infrastructures technico-numériques, d’accessibilité et de formation ou mieux d’alphabétisation numérique. Aussi, les équipements électrotechniques sont caduques et sous, si non mal employés à l’usage bien même quand ils existent. Il convient donc aux pays africains d’accélérer la mise à niveau des infrastructures à travers un véritable développement technologique, de contribuer à l’éducation digitale et de fournir les moyens d’une accessibilité convenable et universelle. Il conviendra pour nous de nous intéresser à déterminer par la suite, les indicateurs de la fracture numérique qui sont susceptibles de s’améliorer à cause du développement technologique et de l’alphabétisation numérique afin de faciliter une véritable digitalisation Africaine.
Bibliographie:
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Autor(2015): “Why Are There Still So Many Jobs? The History and Future of Workplace Automation“Journal of Economic Perspectives,Vol 29(3), P 3-30
Banque Mondiale (2019): “Rapport sur le développement dans le monde” https://www.banquemondiale.org/fr/publication/wdr2019
Béranger.j (2015):“Vers une médecine connectée, mesurée et personnalisée centrée sur les données et les Big Data médicaux”; Conference paper
Bourreau. M & Pénard. T(2016): “L’économie numérique en question”; Revue d’économie industrielle;Vol4 P156
CASTELLS(1998):“La société en réseaux”, tome 1 : L’ère de l’information, Paris, Fayard, 1998, 613 p
CNUCED (2018): “Rapport sur le développement économique“; https://unctad.org/fr/system/files/official-document/aldcafrica2018_fr.pd
Einav.L & Levin,(2014): “The Data Revolution and Economic Analysis” Innovation Policy and the Economy, University of Chicago Press, vol. 14(1)
Ellul.J (1969):“Autopsie de la révolution”, La Table Ronde, Paris.
Ellu.J(1988):” Le bluff technologique”;Hachette, Paris 1988.
Lojkine (1992):“La révolution informationnelle”;Paris presse universitaire de France, (Sociologie d’aujourd’hui),302 pages
Milad. D (2011): “Pour un humanisme numérique”; Paris: Edition du Seuil, P177.
Sinai & Waldfogel (2004): “Geography and the Internet: is the Internet a substitute or a coplement for cities?” Journal of Urban Economics, vol.56
OCDE (2012): “Perspectives de l’économie Internet” https://www.oecd.org/fr/sti/ieconomie/perspectives-economie-Internet-2012-principales-conlcusions.pdf
Notes:
-**Cf l’espèce humaine s’adaptera de mieux en mieux à la révolution numérique”; “l’homme avenir, comment le numérique va nous transformer”.
-“Révolution numérique dans les pays en développement-l’exemple Africain”; Jacques Bonjawo, (2011): Dunod.